Voilà à peu près comment je me suis retrouvé à la rue, sans papiers d'identité, sans amis, sans famille sur qui je peux compter car je suis officiellement mort depuis plus de deux ans. Dans l'immédiat, je me suis attelé à chercher un travail pour manger le lendemain. Oui, car comme je suis mort, mon compte bancaire a été clôturé en toute logique. Le système D s'est donc imposé tout naturellement. Sans qualifications, il est très dur de trouver un job même à Overdose, car tous mes diplômes scolaires sont évidemment restés chez les Kangs. Mais pas le temps de se plaindre : il faut survivre, vivre au moins pour terminer ce que j'ai entrepris.



Je suis donc Kang Hyun Bin, un loup solitaire au sens propre du terme. Sans famille, sans papiers d'identité, mais avec un toit. Sans ambiguëté, j'ai volontairement quitté ma famille. Personne ne m'a forcé ou dégoûté des miens, je suis partie de mon propre chef (d'une façon peu orthodoxe, je l'accorde). Ma meute qui m'a élevé et qui m'a tout appris pense toujours que je suis mort...s'ils savaient, ils ne seraient pas au bout de leurs surprises. Remarque, cela leur enlèveraient les oeillères qu'ils ont sur le monde. Mais je veux bien revenir sur ma famille.

A la base, je fais partie de la famille Kang. Mon clan est originaire d'Overdose et ils ne se sont jamais expatriés ailleurs, je suis donc un pur overdosien. Ma famille a bien moins d'importance que celle des Muns du fait que nous soyons moins nombreux, mais je pouvais vous assurer que c'est une bonne famille pour autant. On m'a dit une fois que les Kangs ont été des alliés des Muns lors de la guerre entre eux et les Sungs. J'ignore si c'est une légende pour que je continue de fréquenter Mun Se Hun ou un fait historique bien réel, mais je reconnais que j'ai eu une enfance heureuse parmi eux. J'ai juste un peu souffert de ma condition d'enfant unique. J'ai toujours voulu que mes parents me fassent un petit ou une petite sœur, je me sentais mal d'être le seul enfant de la maison, et Dieu sait combien j'ai bassiné mes vieux ! Or, il se trouve que mon clan fait partie de ces familles de loups soit-disant « modernes » qui aiment pratiquer la politique de l'enfant unique, parce que selon eux ils n'auraient plus besoin des grandes portées. Ils n'ont toujours pas compris que c'est avec des grandes progénitures que les Sungs et les Muns sont restées des grandes familles, pff...quoi qu'il en soit, mon vœu n'a jamais pu être exaucé. Mais un heureux événement m'a calmé pendant très longtemps.
Ce fut la rencontre avec Mun Se Hun. Je ne me rappelle plus quel âge on avait, mais le courant avait directement bien passé. J'avais pleins de copains à côté de la famille, humains et loups, mais je passais le plus clair de mon temps avec Se Hun. Je venais voir mes amis rarement sans lui. Nos parents s'entendaient bien, rassurés d'avoir affaire avec d'autres loups, surtout si la légende que je vous ai dit est vraie, ça facilitait les choses. C'était comme mon petit frère, et mes parents l'appréciaient beaucoup le petit Se Hun, ce qui renforçait l'illusion. Se Hun était un enfant « poli et bien élevé » comme ils disaient. J'aurai à dire trop de choses sur notre relation, mais ma famille plus Sehun m'ont épanouis ; il a été à la fois mon meilleur ami et le petit frère qui manquait à mon bonheur. Même lorsque mes sens ont commencés à se développer, j'ai très bien vécu cette période. J'étais entouré par tout ceux que j'aime, et je pense que c'est ça qui m'a permis de rapidement apprendre à me contrôler. Chose que j'ai rendu à Se Hun quand ça a été son tour : j'ai été beaucoup plus à ses côtés, le conseillant, l'encourageant, le rassurant, etc. Il a rencontré plus de difficultés que moi, mais je ne l'ai pas lâché ! C'était une affaire d’État pour moi, et cette période nous a encore plus rapproché...
En général, tout ce qui concerne nos proches nous tiennent à cœur, nous les loups. Mais j'étais particulièrement centré sur ma famille, Se Hun y compris, voulant la développer plus tard et lui donner une grande lignée à l'instar des Muns. Quand vous êtes dans une famille moins prestigieuse, vous prenez votre devoir de famille très au sérieux. Et quand vous avez un meilleur ami venant d'une famille très respectable et respectée, il est difficile de penser autrement. J'étais assidue à l'école, multipliant les options scientifiques et sportives, pour le plaisir et être fort. J'étais donc très famille, études, et assez traditionaliste. Je pense que j'ai un peu déteint sur Se Hun à la longue...


Bon, vous devez bien vous demander ce qui m'a donné envie de déguerpir d'ici. Ca arrive, ça arrive. Je voudrais juste faire une parenthèse pour dire que j'ai fait des études dans ma vie. Vous vous doutez bien que j'ai visé haut. Après le lycée, j'ai failli choisir la filière de mathsup' à cause de mes parents et de mes professeurs qui insistaient beaucoup trop. Et ce qui devait arriver arriva : trop de pression, j'ai pris peur, et je me suis rabbattu sur des études d'économie. Ils ont été un peu déçus, mais au final la faculté d'économie m'a bien plût. J'ai vraiment eu un coup de cœur pour cette discipline. A ce moment-là, j'avais validé ma licence, et j'étais en train de poursuivre ma quatrième année en vue d'un master. Avant tout ça, j'étais quelqu'un de bien dans ma peau. J'étais à l'aise dans mes études, j'avais un projet pour plus tard, et j'avais beaucoup d'amis, sans oublier Se Hun avec qui je partageais tout.
Côté amour, je n'ai pas été tendre avec les humaines. Les malheureuses ont souffert de mon cœur d'artichaut. Je sais que c'est mal de se tourner vers les humaines, alors je m'amourachais pendant un temps de l'une d'elles, puis en me rappelant de mes devoirs, je la laissais tomber, et je faisais pareil avec une autre deux semaines plus tard si je ne revenais vers la première au bout de 48h, mais je finissais toujours par la laisser tomber au bout d'un mois, parce que je voyais parfois une autre fille en même temps qu'elle...bref, me suivre était encore plus compliqué que les Feux de l'amour ! Tant que je ne trouverais pas la bonne, ce serait comme ça. Aujourd'hui je l'ai bien compris, et je ne m'occupe plus du tout des sentiments ; je prends là où ça m'intéresse, et je file sans laisser mon numéro. Mais pendant très longtemps, qu'est-ce que j'ai pu fatiguer Se Hun avec mes amours du dimanche !

Et maintenant, ce que vous attendiez tous : les raisons qui m'ont fait quitté mon petit monde. En réalité, il y a une chose que je ne partageais pas avec Se Hun. A partir du lycée, je ne lui présentais plus mes nouvelles fréquentations. A partir d'un certain âge, l'écart peut être trop grand. Et puis j'étais moins familier avec mes amis de fac' qu'avec les précèdents ; travaillant plus, on passait moins de temps ensemble. Mon nouveau cercle était un peu décevant...la plupart était des connaissances. Excepté un seul. Le seul avec qui je traînais en-dehors de la faculté. Mais jamais je n'ai mentionné son nom à mon dongsaeng. Lui, un Mun, n'aurait jamais tolété de me voir accompagné d'un Sung.

Oui, j'ai connu un Sung grâce à la faculté d'économie, et cela faisait plus de trois ans. J'ai toujours fait confiance à Se Hun, mais je ne savais pas trop quoi faire de cet ami. Il le connaissait comme l'un de mes amis, mais pas comme un ami Sung. Au début, il n'était qu'un simple ami de fac' parmi tant d'autres. Puis...comment dire, il m'a intrigué. Il avait ce petit quelque chose à la fois mystérieux et terriblement attirant. Et c'était partagé. Nous avions approfondi notre relation par la suite, devenant vraiment amis. Mais c'était un ami exclusif, avec qui je ne partageais pas les mêmes choses avec Se Hun. Lui avait le même âge que moi, nous avions donc la même maturité et la même manière de voir le monde. Je ne vous cache pas qu'il y a eu un peu d'attirance dans cette amitié soudaine. Mais face à lui je ressentais un sentiment peu commun, entre le respect et l'affection. Rien à voir avec l'amour ou l'amitié, notre affection sortait de ces cadres-là. C'était une nouvelle amitié qui me transcendait, mais qui m'a un peu éloigné de Se Hun, même si je ne voulais pas l'admettre.

Puis j'ai fini par apprendre qu'il était un sorcier. Etrangement, ça ne m'a pas scandalisé. J'ai juste été surpris qu'il me livre sa vraie identité. En fait, je me suis surtout senti privilégié qu'il partage ses secrets avec moi, et uniquement à moi. Notre relation avait pris un tournant plus intime. Il m'a alors exposé l'histoire de sa famille. J'ai appris des choses que jamais je n'aurais soupçonné des Muns et des loups en général...et j'ai eu de la peine pour lui à ce moment-là. Mais j'ai surtout été déçu. Déçu de ma famille qui soutient ces dégénérés, déçu de ma propre race qui a voulu absolument cherché un bouc émissaire pour ne rester qu'entre elle, au prix du sang. Progressivement, j'ai appris de plus en plus de choses grâce à lui. Nos conversations étaient passionnantes. Mais il arrivait toujours à me montrer que ce que je croyais n'était qu'une fable de Mun. J'ai réalisé que j'ai toujours vécu avec des oeillères et beaucoup de censure. Je me suis alors confié à lui, sur tout et sur mon identité. Je lui ai fait part aussi de ma désillusion. Je lui ai fait un peu peur sur le moment...mais il a aussi vu le changement qui s'est opéré en moi.

Tout ces conflits de puissance sont épuisants, et j'avais compris que c'était avec eux qu'on pouvait y mettre fin une bonne fois pour toute. Il faut une solution radicale, et il m'a convaincu et persuadé que seuls les Sungs pouvent le faire. Nous nous revoyions de plus en plus fréquemment, quitte à inventer de fausses excuses à mes parents ou à Se Hun. Toutes mes questions, tout mes doutes concernant l'avenir, il y répondait clairement et logiquement. Au bout d'un moment, il a fallu que je me fasse une raison : on vivote, nous les loups, parce que nous ne serons jamais assez forts tant que nous vivrons séparés des sorciers. Et les Sungs semblent vouloir recréer cette grande famille que nous étions il y a fort longtemps, où sorciers et loups travaillaient main dans la patte.

Fort de ce que j'ai appris grâce à lui, je ne pouvais plus supporter l'idée de rester parmi les miens comme si de rien n'était. Il fallait agir, ne serait-ce que pour leur montrer l'exemple, et leur ouvrir la voie. Alors en parallèle de mes études, lui et moi avions préparé mon départ pendant quelques semaines. C'est là que j'avais loué d'avance mon appartement, déménagé quelques affaires là-bas, réservé une chambre à l'hôpital, etc. Pendant cette période, j'ai aussi délaissé mes révisions pour consacrer encore plus de temps à mes proches. J'allais les quitter définitivement sans possibilité de leur dire au revoir...je voulais juste garder tout mes bons moments avec eux et ne rien regretter derrière moi. Je pense que c'était le meilleur à faire même pour eux, qu'ils gardent en mémoire le Hyun Bin qu'ils ont connus.

C'est à peu près tout. A force de rester avec nos anciens amis, on ne voit pas toujours combien nous sommes aveuglés. C'était mon cas concernant les loups. Comme c'était prévu, il m'attendait en périphérie de la ville. C'est là qu'il est venu m'annoncer que ma requête a été accepté ; mais avec quelques réserves. J'étais admis provisoirement dans le clan des Sungs, ou plutôt toléré. Il m'a bien fait comprendre qu'ils en attendraient plus de moi à l'avenir. Plus de preuves. Plus d'actions qui montrent ma foi en les Sungs. Je me suis fait remarquer, mais à présent il faudra leur ôter tout doutes qu'ils ont sur moi. Je les comprends. Et je suis prêt à faire ce qu'ils attendent de moi. Je n'ai plus rien qui me lie aux loups. Nous sommes restés en contact, et notre relation n'a pas changé. J'ai été amené à voir d'autres Sungs, et ça a renforcé mes convictions. Je leur ai dit tout ce que je savais à propos des Muns. Les évènements qui se sont passés après cela, je pense qu'elles sont en grande partie grâce à moi. Je leur ai rendu service comme ils le méritent. Je fais ce qu'ils me disent, je reste discret en attendant qu'ils me donnent à faire quelque chose en ville. Et s'il y a un gros qui se prépare, je serai le premier à y participer.

Je suis un loup solitaire qui aide les sorciers dans l'ombre, et je le vis très bien. Pour rien au monde je ne retournerai dans ma meute, je n'ai plus rien d'un loup comme les autres.