Sur ma peau, je sentais déjà les futures perles de glace qui tomberaient du ciel dans la soirée. La journée était longue et loin d'être terminée. La troupe de théâtre avec laquelle je travaillais régulièrement avait organisé une rencontre durant les quelques jours de repos avant Noël, et étant l'acteur principal, je n'avais pu refusé. Je n'aurai de toutes façons pas été capable de le faire, le théâtre était ma passion et un moyen de m'exprimer sans assassiner quelqu'un du regard. Personne n'osait me toucher dans le groupe, sauf bien sûr, quand c'était nécessaire pour le jeu de rôle. J'étais souvent exclu et pas un seul sourire n'apparaissait sur mon visage une fois la répétition terminée.

C'est ainsi que je rentrais chez moi. Fatigué, me répétant sans cesse les répliques de la pièce que nous allions jouer d'ici quelques mois. Je la connaissais par cœur, pour l'avoir lu des millions de fois. Putain, ce qu'il fait froid dehors. Je sortis mon portable afin de jeter un œil à la météorologie du moment, et les températures peinaient à atteindre le zéro. Je le savais, la neige allait tomber sur Overdose, et dans très peu de temps. Il était dans les environs de vingt heures lorsque je marchais dans les rues éclairées par les décorations, les écouteurs enfoncés dans les oreilles, la musique à fond. Mes pas s'arrêtèrent devant une affiche ; le marché de Noël offrait des activités diverses et variées pour compléter la soirée jusqu'au feux d'artifice qui éclateraient plus tard dans la nuit. La lune ne devait pas être présente dans le ciel, laissant ainsi les nuages prendre la place, permettant aux étoiles un moment de répit avant la prochaine nuit. La nouvelle lune était signe de nouveau départ dans certaines croyances. Pour les Loups, c'était une phase dans laquelle on était un peu plus fragile. Du moins, moi, je l'étais dans ces périodes.

Je m'avançais dans la foule, m'arrangeant pour ne toucher personne. Ce fut difficile car les sales gosses attiraient pas mal de monde. Je n'étais pas si con, je décidai de prendre un autre chemin. Celui qui menait vers les allées vides, tout le monde s'étant réfugié vers la chorale. Je prenais alors mon temps, marchant d'un pas peu pressé sur les pavés clairs. Je décidai alors de m'asseoir dans un coin, laissant passer le défilé qui allait commencer, d'ici quelques minutes, son bordel dans les rues de la ville. J'observai les personnes. Une fille regardait dans tous les sens, émerveillée par ce qui l'entourait. Était-ce une réaction normale ? Être heureux rien qu'en regardant par dessus son épaule ? Je ne voyais pas très bien ce qui était si bien dans le fait de décorer une ville, d'augmenter les factures d'électricité et organiser toutes ces supercheries. Mon regard se perdait dans le vide, bien qu'il fut dirigé vers cette fille au manteau blanc.

Sous mes yeux, les gens se promenaient. Certains étaient parfois enthousiastes, d'autres présents contre leur volonté, embarqués par des amis ou de la famille pour passer un bon moment. Un groupe de jeunes passèrent devant moi sans me voir. Ils plaisantèrent, rièrent et semblaient s'amuser comme des gosses. Avoir des amis ressemblait à ça alors ? Je n'étais pas intéressé. Ma bulle close et solitaire me convenait parfaitement. Je n'étais pas bien exigeant, mais on parvenait toujours à faire ce qu'on voulait de moi. Après tout, mon caractère paraissait froid, mais je n'en étais pas moins humain. Même les Loups ont une âme. J'essayais de ressembler à mon frère, et il fallait que j'avoue que ça n'avait pas que du mauvais, bien que j'avais encore beaucoup d'efforts à fournir pour lui arriver à la cheville.

Mes pas me portèrent un peu plus loin de ce banc sur lequel mes fesses s'étaient posées. À quoi bon rester assis ? Il faisait froid et les flocons de neige se permettaient de commencer à couvrir les toits des maisons. Rien de bien dramatique pour le moment, mais j'étais certain qu'ils resteraient un petit moment et qu'ils accrocheraient au goudron des routes. Je plaignais les femmes en talons, mais les imaginer dans une situation délicate à cause de leur beauté éphémère m'amusait pas mal. Je suivais sans le vouloir la parade, remarquant que des personnes hostiles dévisageaient la fille que j'avais vu quelques minutes auparavant. Si on n'avait même plus le droit de chanter pour le plaisir, que devenait le monde ? C'était pitoyable, mais sur le coup, je ne m'arrêtais pas dessus, trop préoccupé par le bordel de bruits et de foule devant moi. Sans le vouloir, je captai un son proche de moi, et une aura malfaisante prit place dans les personnes alentours. J'en cherchais la provenance et alors que j'allais abandonner l'idée, je vis la même fille se faire menacer par un homme. Putain, c'est quoi leur problème franchement ? Ils ne pouvaient pas faire leur vie et laisser les autres en paix ? Un sentiment de dégoût montait en moi alors que je suivais du regard la silhouette de ce connard entre les différentes touffes de cheveux.

J'avais perdu la victime des yeux, et naturellement, sans que personne ne s'en rende compte, je la cherchais. Elle devait bien être quelque part. Sauf si elle était partie, ce qui aurait été judicieux pour elle. Je mis mes oreilles de Loup en alerte, prêt à réagir au moindre son bizarre. Tout ça dans un visage plus qu'inexpressif, comme à mon habitude. Une ruelle sombre s'offrait sur ma gauche. Je passai devant, mais fis marche arrière en apercevant une silhouette repliée sur elle-même. L'odeur de la fille se répandit dans mes narines et dans un soupir, je m'en approchais doucement. Je devais bien ressembler à un psychopathe avec cet air de cadavre sur la tronche. Peu m'importait. Je devais savoir si elle était blessée. Décidemment, je devenais de plus en plus guimauve ces temps-ci. Je fouillais dans mon sac afin de chercher un je ne savais quoi et une sucette glissa entre mes doigts. Je l'attrapai et la sortis. Il y avait mieux comme approche. Tant pis. Je me mis accroupi, à son niveau et tapota doucement son épaule afin qu'elle me regarde. Les yeux dans les yeux, je n'exprimai pas grand chose en lui tendant le bâton à la couleur rouge, mais j'espérai ne pas sembler louche.

Une lueur d'abord effrayée passa dans son regard. Cela ne m'étonna même pas. Soit elle avait peur que ce soit encore une brute, soit je n'avais pas du tout l'air d'être compatissant. Le bâton blanc quitta mes doigts lorsqu'elle l'attrapa dans les siens, et je mis mes mains sur le plat de mes cuisses. Elle avait encore des larmes aux coins des yeux, mais je ne réagissais pas. Ce n'était pas comme si j'allais pleurer avec elle sur une si petite chose. Je n'étais déjà pas capable de prononcer un seul mot pour qu'elle retrouve le sourire alors faire ça, était impensable.

« Pour…pour moi ? »

Bien sûr que non, je la tends au mur derrière toi. Ce fut une question assez stupide, mais je ne lui en voulus pas. Elle était certainement un peu paumée. Elle continua ensuite sur sa lancée, bien que j'eus l'impression qu'elle pensa, elle aussi, que sa précédente interrogation était bête.

« M-Merci… Oh, une sucette à la cerise… ce sont mes préférées… Merci beaucoup… Mais je n’ai rien sur moi pour te donner quelque chose en retour, excusez-moi… »

Tant mieux si c'était sa préférée. Je ne voyais pas vraiment à quel goût elle pouvait être avec le noir de la nuit. Peut-être était-elle à la fraise, mais ce n'était pas réellement important. Je ne demandais évidemment rien en retour, et je n'avais pas forcément envie de rester accroupi, les genoux à quelques centimètres du sol. Quelques flocons de neige s’abattirent sur mes cheveux sans que je ne m'en aperçoive, leur caresse était plus délicate qu'une plume, mais bien plus froide et désagréable lorsqu'ils s'échouaient sur la peau de mon cou. Des frissons me parcouraient, je n'aimais pas ça. Je redressai mes jambes afin de me tenir debout devant elle. Je devais ressembler à un dingue à la jauger du regard comme ça. Elle fouilla dans son sac quelques instants et j'entendis alors tout le bordel féminin qui devait s'y trouver. Je reconnus le bruit des bâtons de maquillage qui se cognent et un trousseau de clés, mais je n'en écoutai pas davantage, ce n'était pas utile. Je captai le froissement d'un papier, mais différent de celui d'une feuille ordinaire, non, il devait s'agir d'un paquet contenant quelque chose. Je reportai mon regard sur la jeune femme qui me tendait un sachet contenant deux cookies. Je me contentai de le prendre entre mes doigts avant qu'elle ne se mette à parler.

« Merci encore… pour l’instant je n’ai que cela, promis, j’essayerai de trouver quelque chose de mieux pour vous remercier ! ...Oh, quelle impolie je fais… je me nomme Sae Jin… enchantée. »

J'aurai voulu lui dire que je ne demandais vraiment rien en retour, et que de toutes manières, je n'avais rien fait pour mériter sa sympathie. Je voulais simplement m'assurer de n'avoir aucun problème avec qui ou quoi que ce soit en vérifiant qu'elle n'était pas blessée. Elle l'était, mais très légèrement à la lèvre. Il fallait que je me souvienne de son prénom, Sae Jin. Je me le répétais en boucle dans ma tête en regardant dans le vide. Elle tenta ensuite de se lever à son tour mais fut prise par une douleur, que je devinai, à la cheville.

« Oh non… d’abord ces vieilles, après la deuxième chute…ma lèvre puis ça ! Mais qu’est que j’ai fait moi ?! »

Il fallait que j'avoue qu'elle ne semblait pas être poursuivie par la chance, ce soir. Et moi non plus, par la même occasion. Alors que je pensais me détendre devant les premières étoiles de glace, il fallut que je mette mon nez dans des histoires qui ne me regardaient pas.

« Excusez-moi… »

Son visage prit une teinte rosée et je pus très clairement m'en apercevoir, malgré la pénombre des lieux et du ciel. Ses pensées avaient franchi ses lèvres et manque de bol, j'étais là pour écouter. Pas étonnant qu'elle était gênée. Je ne m'en formalisai pas, ce n'était pas utile.

« j’en ai marre…. »

Elle essuya la goutte de sang qui perlait sur la plaie de sa bouche avec un mouchoir. Je n'allais quand même pas la laisser là, à pleurer, je passerai pour quoi ? Je sentais déjà des regards sur nous alors que je ne réagissais pas face à la scène. Agis comme dans une pièce de théâtre, Tae Soo. Je pris mon courage à deux mains et posa un genou au sol, dos à elle.

« Montes. »

J'espérais qu'elle comprenne ce que je voulais dire. Elle était au bord des larmes et je ne me sentais pas vraiment à l'aise en leur compagnie, alors autant faire quelque chose. Dans mon propre intérêt. Quel égoïste j'étais. Je la fixai par dessus mon épaule, attendant qu'elle se positionne correctement afin que je puisse la porter autre part. L'hôpital serait l'endroit le plus juste, et il n'était pas si loin du centre ville. Si elle s'était cassé la cheville, il vaudrait mieux s'en occuper au plus vite.

Après un moment que je qualifiais de long, elle se décida à rejoindre mon dos. Je tendis alors mes jambes pour me redresser, et commençai ma route vers l'hôpital le plus proche. Je ne comptais pas traîner en chemin, alors je pressais le pas, faisant attention à ne pas cogner des passants avec ses pieds autour de mes hanches. J'avais mes mains sous ses genoux afin de supporter au mieux son poids. Je n'étais pas non plus musclé comme un bœuf, mais fort heureusement, et ce sera certainement la seule fois dans toute ma vie où je me réjouirais pour ça, du sang de Loup coulait dans mes veines, ce qui me permettait de ne pas ressentir de réelle fatigue.

Au bout de quelques minutes de silence et de marche, je sentis clairement que ses muscles se relâchaient et qu'elle commençait à s'endormir. Je ne fis aucune remarque suite à sa phrase et à sa voix qui baissa considérablement de volume. Je continuais mon chemin dans les rues animées du marché de Noël. C'était vraiment dommage que je ne puisse pas profiter de ces si belles choses, auxquelles je n'avais jamais eu droit jusqu'à aujourd'hui et portais mon regard vers le ciel. Je voyais les flocons voler, de plus en plus gros, mais je ne savais pas d'où ils pouvaient bien tomber. Des nuages, oui, mais du quel exactement ? Je ne m'attardais pas sur cette vue et regardais de nouveau devant moi.

Je parvins assez rapidement en dehors de la foule, marchant à présent dans des rues calmes d'Overdose. Je devais bien avouer que je préférais le silence apaisant aux voix bourdonnantes sans en comprendre le sens d'un rassemblement de gens, mais l'animation précédente, ne m'avait pas si gêné que ça. Par chance, j'aperçus de loin les lumières blanches et presque aveuglantes de l'hôpital et je m'y dirigeai d'un pas un peu plus rapide, pressé d'en finir avec cette histoire. Je n'avais pas eu le temps de trouver quelque chose pour ma mère et je devais retourner au marché pour y trouver un trésor d'exception, le cadeau qui attirera mes yeux.

Les portes automatiques de l'hôpital s'ouvrirent devant moi et je pris immédiatement la direction des urgences. Une infirmière me choppa au vol, me demandant quel était le problème, et avec une précision étonnante, je lui répondis « Une blessure à la cheville ». La jeune femme me sourit poliment, me demandant de la suivre, je déposai alors le corps de la blessée sur un lit que je jugeai plutôt inconfortable et m'écartai, laissant le temps à la professionnelle de faire son travail. Une autre personne m'appréhenda pour signer une décharge. Je n'allais tout de même pas rester avec elle alors que je ne la connaissais même pas, et puis, il fallait que je retourne sur le marché pour ma petite course.

Une fois le papier signé, je jetai un dernier coup d’œil à Sae Jin, qui dormait paisiblement, et sortit rapidement de cet endroit aux odeurs désagréables qui me prenaient la tête.

[spoiler=Hors RP]No prob. Nous pouvons terminer ici, si tu le souhaites et programmer un prochain RP ou continuer, mais je ne pense pas que ça en vaille la peine.